Contrefaçon de logiciel : la précision de l’assignation est plus que jamais de mise

Le demandeur à une action en contrefaçon de logiciel doit, dès l’assignation, identifier le logiciel qu’il prétend contrefait et en définir précisément les caractéristiques, sous peine de nullité de l’acte pour indétermination de l’objet de sa demande.

Tel est le sévère rappel formulé par l’ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nanterre le 14 décembre 2022.

Si, comme le rappelle l’ordonnance précitée, « il n’est pas ici question d’imposer à la demanderesse la caractérisation prématurée de l’originalité de l’œuvre en débat », il lui appartient toutefois « d’identifier précisément la ou les œuvres opposées et de définir pour chacune d’elles les caractéristiques originales qu’elle entend opposer et qui serviront d’assiette aux droits d’auteur qu’[il] revendique ».

Et l’ordonnance de préciser que « seul le code source permet de connaître les choix précis du programmeur qui ont présidé à la mise en forme qui constitue le siège de l’originalité d’un logiciel », de sorte que la présentation d’un programme en ses différentes versions, ses fonctionnalités, son interface ou encore son processus de développement ne saurait suffire à déterminer avec la précision requise l’objet de la demande.

L’assistance d’un expert pourrait ici être utile, sous réserve toutefois que ce dernier ne se « contente [pas] de livrer, sans la motiver et sans permettre le moindre contrôle à ses relecteurs, son analyse personnelle », ce que ne manque pas de préciser le juge de la mise en état.

En définitive, on le voit bien, même s’il n’est pas question d’imposer à la demanderesse la caractérisation de l’originalité du logiciel mais d’identifier l’œuvre opposée, d’en déterminer et définir les éléments subjectifs susceptibles de caractériser son originalité.

On relèvera que cette ordonnance est dans la droite ligne de l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles rendu quelques semaines plus tôt, le 13 octobre 2022, aux termes duquel « il ne revient pas au juge de la mise en état d’apprécier l’originalité de l’œuvre dont la protection est sollicitée, débat qui relève du fond, mais de vérifier que l’œuvre est suffisamment identifiée et décrite dans ses formes originales pour permettre aux défendeurs de connaître les spécificités originales revendiquées et qui leur sont opposées ».

S’il s’agit d’une exigence classique des tribunaux appliquée à tous les types d’œuvres de l’esprit protégées par le droit d’auteur, sa transposition s’avérera plus délicate s’agissant d’œuvres dont la description des caractéristiques originales porte sur un langage informatique et nécessite une démonstration technique.

Ainsi, on perçoit aisément les difficultés, voire les réticences, des demandeurs à décrire tout ou partie du code source de leur logiciel.

Outre la confidentialité de telles informations, c’est la protection de leur savoir et de leurs actifs incorporelles qui est ici en jeu.

De son côté, le juge risque également d’être confronté à une difficulté liée à sa capacité à déceler l’originalité d’un logiciel à partir de l’examen de son code source.

Pour autant, les contraintes du débat judiciaire sur l’originalité ne devraient pas décourager celui dont la création a été exploitée sans droit.

Ce dernier pourra, parmi les items pertinents, décrire et expliciter utilement à partir du code source l’architecture technique du programme en cause, la combinaison singulière de composantes logicielles au regard des choix possibles en la matière, l’existence de choix non contraints relatifs aux techniques de modélisation utilisées, l’existence de choix de programmation spécifiques dictés par la volonté des développeurs ; des choix de programmation spécifiques concernant la rédaction de l’assignation, apparaît plus que jamais nécessaire.