[Brève] Contrats informatiques – Indivisibilité des contrats ORACLE

Cour d’appel, Paris, Pôle 5, chambre 11, 9 septembre 2022 – n°20/03880

Un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 9 septembre 2022 permet de faire le point sur la question de l’indivisibilité des contrats, sujet récurrent lors d’échec de projets d’intégration d’un logiciel dans l’entreprise. 

Pour résumer, la société Gravotech et ses filiales utilisent depuis 2002 le progiciel de gestion intégré JD Edwards Enterprise (PGI en français ou ERP pour « Enterprise Ressource Planning » en anglais) édité et maintenu par la société Oracle.

Au début de l’année 2010, la société Oracle a indiqué à Gravotech que le support de la version XE du logiciel JD Edwards cesserait en 2013 et qu’il convenait de migrer vers sa nouvelle version. Pour mener cette migration dans l’ensemble de son groupe, Gravotech a conclu plusieurs contrats avec Oracle entre 2010 et 2013. 

Ce projet informatique ayant connu des dérives calendaires et budgétaires, la relation contractuelle entre les parties s’est fortement dégradée. A ce titre, on imagine assez facilement la pression exercée par Oracle pour obtenir des rallonges budgétaires afin de débloquer le projet.

Refusant d’acquiescer à cette augmentation du prix en cours de projet et face à un calendrier devenu très glissant, Gravotech a mandaté un expert informatique pour procéder à un audit des prestations.

S’appuyant sur le rapport de son expert, Gravotech a mis en demeure Oracle d’achever le projet et de l’indemniser des conséquences du retard et des frais engendrés par le non-aboutissement du projet. Oracle ne s’exécutant pas, Gravotech l’assigne en résolution des contrats pour manquement à son obligation de délivrance conforme et à son devoir de conseil. 

Pour appuyer sa demande, Gravotech soutient notamment que les contrats conclus avec la société Oracle constituent un ensemble contractuel indivisible et en sollicite la résolution aux torts de l’intimée au motif que les manquements graves de cette dernière l’ont contrainte à interrompre le projet. 

L’indivisibilité contractuelle est susceptible d’être caractérisée lorsque les différents contrats poursuivent un même but et visent la réalisation d’une opération indivisible. Les juges peuvent déduire de l’économie de l’ensemble contractuel l’interdépendance des contrats.

Il en est ainsi lorsque l’interdépendance repose sur une cause commune, comme en l’espèce l’implémentation d’une nouvelle version de l’ERP utilisé et sa maintenance associée. En démontrant le caractère indivisible des contrats, il est alors possible d’obtenir la résolution du contrat principal et des contrats accessoires. 

La Cour d’appel de Paris a retenu l’indivisibilité des contrats, considérant que les 9 contrats avaient tous le même objet (la migration du progiciel et l’harmonisation des processus entre les filiales de la société Gravotech), et que les services y étaient régulièrement décrits de manière strictement identique. 

La Cour d’appel a alors prononcé la résolution de l’ensemble des contrats passés entre Oracle et Gravotech, en retenant que la société Oracle avait manqué à ses obligations envers sa cliente et que ces manquements étaient suffisamment graves pour justifier la résolution totale de l’ensemble indivisible formé par tous les contrats successivement conclus. 

Les conséquences d’une résolution d’un ensemble contractuel sont lourdes : le prestataire informatique ne peut réclamer le paiement du solde de ses prestations, et il ne peut également pas se prévaloir des clauses limitatives de responsabilité contenues au sein des contrats de prestations de services informatiques, leur support étant anéanti. 

Classiquement, en matière de contrats informatiques, la problématique de l’indivisibilité des contrats se pose notamment en présence d’un contrat de fourniture de logiciel associé à un contrat de maintenance, ce dernier étant régulièrement jugé caduc lorsque le premier était résilié.

Or, cet arrêt du 9 septembre 2022 démontre que la théorie de l’indivisibilité des contrats peut être appliquée à tout type de contrat informatique, dès lors qu’ils concourent à la réalisation d’une même opération, les rendant ainsi indissociables entre eux. 

En outre, ce n’est pas la première fois que des contrats informatiques passés avec la société Oracle sont jugés indivisibles par les tribunaux. Le 13 février 2007, la Cour de cassation (n°05-17.405) avait prononcé la résolution des contrats de licences, de maintenance, de formation et de prestation de services.

Les contrats avaient été jugés interdépendants dans la mesure où « ils poursuivaient tous le même but et n’avaient aucun sens indépendamment les uns des autres, les prestations de maintenance et de formation ne se concevant pas sans les licences sur lesquelles elles portaient ».

Ainsi, si des manquements contractuels du prestataire sont constatés au titre d’un contrat, interdépendant avec d’autres contrats informatiques, le client lésé peut demander la résolution de l’ensemble contractuel le liant avec son prestataire informatique, aux torts exclusifs de ce dernier, ainsi que l’octroi de dommages et intérêts. 

Tricher n’est pas jouer… En exerçant son pouvoir sur son client pour obtenir plusieurs compléments de prix sous la menace d’un arrêt des prestations, Oracle s’est fait prendre à son propre jeu et a sifflé bien malgré lui, la fin de la partie. Gageons à l’avenir qu’il s’y reprendra à deux fois avant de rebattre les cartes en cours de projet.

Antoine Gravereaux, Associé

Valentine Chauveau, Collaboratrice

Contact : gravereaux@dsavocats.com