Outil privilégié dans les stratégies de réduction d’impact des droits de douane US, la valeur en douane connait quelques actualités récentes, qui nous offrent des perspectives sur le traitement douanier des prix soumis à ajustements post-importation. Dans un autre registre, une jurisprudence foisonnante façonne de plus en plus clairement le cadre dans lequel un recours assumé des administrations de contrôle aux bases de données statistiques est envisageable comme méthode de détermination dans l’UE.
1. Ajustements de prix post-importation et valeur en douane – des perspectives contradictoires
La question des ajustements de prix post-importation a connu une rupture en 2016, lorsque dans l’affaire Hamamatsu, la CJUE a jugé qu’un prix de transfert soumis à des ajustements post-importation, dont l’orientation à la hausse ou à la baisse n’était pas déterminable au moment de l’importation, n’était pas acceptable aux fins de valeur en douane.
Cette jurisprudence insatisfaisante, à la fois pour les opérateurs et les administrations, a généré davantage de confusion, et entraîné une multitude de pratiques différentes au sein de l’UE. Alors qu’une deuxième affaire de cette nature est actuellement instruction, la CJUE vient de rendre une décision qui s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence Hamamatsu.
Le 15 mai 2025, dans l’affaire C-782/23 – Tauritus, la cour s’est prononcée sur l’acceptabilité aux fins de valeur en douane d’un prix provisoire, ajustable ultérieurement en fonction du prix moyen du marché et du taux de change. Ces ajustements donnaient lieu, une fois connus les éléments de référence, à des factures rectificatives, fixant le prix définitif. En l’espèce, la CJUE a estimé que ce prix définitif, dès lors que l’ajustement était déterminé sur des facteurs objectifs prédéterminés et dont la valeur était indépendante de la volonté des parties, est acceptable aux fins de valeur transactionnelle (moyennant rectification de la déclaration en douane). En revanche, la Cour a pris soin de préciser que la valeur transactionnelle ne saurait découler d’une répartition a posteriori de bénéfices entre les parties à la vente, sur la base d’une décision prise par l’une de ces parties. Dans une référence directe à la pratique des ajustements de prix de transfert post-importation, la Cour persiste et signe, et condamne cette pratique, comme elle l’avait fait dans Hamamatsu.
On ne peut que regretter une approche si restrictive, non bénéfique pour les opérateurs, parfois créatrice de complexité pour les autorités de contrôle, qui va de plus se confronter à l’Etude de Cas 14.4 du Comité Technique de l’Evaluation en Douane (CTED), adoptée lors de la 60e session du Comité et sera officialisée fin juin 2025. Cette étude valide en effet, par principe, l’acceptabilité aux fins de valeur transactionnelle d’un prix soumis à ajustement post-importation. Dans le cadre de cette étude, l’ajustement de prix de transfert réalisé en fin d’exercice était documenté, justifié et comptabilisé. Basé sur des éléments objectifs, il a donc été estimé, par l’Organisation Mondiale des Douanes, acceptable aux fins de déterminer de la valeur en douane.
Les instruments du TCCV restent de la soft law, néanmoins dès lors que leur adoption se fait par consensus (ce qui signifie que tous les membres de l’OMD, dont l’UE, doivent être d’accord), leur valeur reste importante auprès des administrations douanières. Comment cet instrument va-t-il être accueilli au sein de l’UE ? Difficile de répondre, néanmoins cet outil, qui vient infléchir la rigidité de la Cour de Justice sur la question, est le bienvenu pour les opérateurs. Si ce n’est pour l’UE, cette Etude de Cas sera opposable auprès de toutes les administrations, y compris celles de pays dont la règlementation ne contient aucune disposition permettant de traiter, aux fins de valeur en douane, les ajustements de prix de transfert. Et il y en a beaucoup !
Les perspectives de plus grandes facilitations sur ce sujet pourraient donc s’ouvrir pour les opérateurs, à rebours de la complexité générée par le recours toujours plus assumé aux bases de données statistiques par les administrations.
2. Méthodes statistiques et valeurs minimales : encadrement insuffisant du recours aux bases de données statistiques
Dans l’affaire Keladis (Keladis I C-72/24 et Keladis II C-73/24), l’avocat général de la CJUE vient de rendre un avis qui en dit long sur l’utilisation que souhaitent faire les administrations de bases de données statistiques. Depuis quelques années, l’Organisme de Lutte Anti-Fraude (OLAF) met à disposition des administrations douanières nationales des « prix minimaux acceptables », extraits de moyennes douanières européennes, pour identifier les valeurs « trop basses ». Ces prix minimaux, s’ils permettent d’identifier des risques de sous-évaluation, ne sauraient en principe être utilisés pour recalculer la valeur des biens et exiger des droits supplémentaires.
A défaut, une telle pratique reviendrait à consacrer, de manière détournée, l’usage de valeurs minimales prédéterminées, ce qui est proscrit par l’accord OMC sur la valeur en douane.
L’avis rendu par l’avocat général dans cette affaire (conclusions du 8 mai 2025) apporte un éclairage bienvenu sur les conditions de recours aux bases de données statistiques par les autorités douanières. Cet avis promeut une avancée (trop) timide dans la consolidation des garanties procédurales entourant le recours aux bases de données statistiques, ébranlées par des décisions récentes de la CJUE. — notamment Fawkes (C-187/21) ou Commission/Royaume-Uni (C-213/19) — qui avaient laissé subsister certains points d’interrogations dans leur usage aux fins de détermination de valeur en douane.
Les conclusions de l’avocat général réaffirment tout d’abord que les bases statistiques ne sauraient, en aucun cas, constituer un fondement autonome pour rejeter la valeur transactionnelle. L’avocat général insiste sur la nécessaire subsidiarité stricte du recours aux données agrégées, qui ne peuvent intervenir qu’en ultime recours. En ce sens, Keladis marquera-t-il un tournant vers une jurisprudence plus protectrice des droits des opérateurs économiques, en réaffirmant de manière stricte le caractère exceptionnel, non normatif, de l’usage des bases de données ? L’avocat général a enfin insisté sur le droit fondamental des importateurs à comprendre comment leur valeur en douane a été déterminée, afin de pouvoir se défendre efficacement. C’est un point central, notamment en phase de contrôle, en ce qu’il peut générer beaucoup de frustration chez les opérateurs vertueux, parfois démunis face à l’opposition par les administrations de statistiques non suppléées par tout raisonnement commercial ou juridique convaincant et des demandes, souvent à n’en plus finir, de communication d’éléments de preuve permettant de justifier la fiabilité des valeurs transactionnelles déclarées.
Ce faisant, l’avocat général a invité la Cour à clarifier les conditions précises dans lesquelles les autorités douanières peuvent s’appuyer sur ces bases statistiques pour déterminer une valeur, tout en rappelant que la transparence et l’individualisation des méthodes restent des exigences prioritaires de l’évaluation douanière. Ces conclusions offrent ainsi aux entreprises quelques pistes pour prendre les devants et se prémunir contre les redressements fondés sur des bases statistiques.
Arnaud Fendler travaille sur tous les aspects du droit douanier et du commerce international, domaines dans lesquels il a acquis une expertise solide depuis 2015.
En tant qu’associé, il assiste ses clients en conseil comme en contentieux en droit douanier, sanctions économiques et contrôle export des biens double usage et matériel de défense, fiscalité environnementale, énergétique et droits d’accise, défense commerciale, TVA import.