Une saisine symbolique pour la libre circulation des marchandises
Le 17 juillet 2025, la Commission européenne a officiellement saisi la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) contre la France pour avoir enfreint les règles fondamentales du marché intérieur, en particulier la libre circulation des marchandises. En cause : l’obligation imposée par la France d’apposer le logo « Triman » et une consigne de tri (« Info-tri ») sur tous les produits relevant d’un régime de responsabilité élargie du producteur (REP). La Commission estime que cette obligation constitue une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative interdite par les articles 34 à 36 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).
Le dispositif français : une mesure jugée disproportionnée
Depuis le décret n° 2021‑835 du 29 juin 2021, la France impose que de nombreux produits mis sur le marché français notamment les emballages, textiles, meubles ou encore équipements électriques comportant un marquage visible et lisible signalant au consommateur la présence d’une consigne de tri, à travers le logo « Triman » accompagné d’un pictogramme explicatif.
Le problème est que cette obligation s’applique indistinctement à tous les produits commercialisés en France, y compris ceux fabriqués ou commercialisés légalement dans d’autres États membres. Cela oblige les producteurs non français à adapter leurs emballages spécifiquement pour le marché français, au mépris du principe de reconnaissance mutuelle et de la libre circulation des produits au sein de l’Union.
Un manquement procédural et un défaut de proportionnalité
Outre l’entrave matérielle à la libre circulation, la Commission pointe un manquement procédural. La France n’a pas notifié son projet de décret à la Commission, en violation de la directive (UE) 2015/1535 relative à la transparence dans le marché intérieur, qui oblige les États membres à notifier tout projet de règlement technique.
Sur le fond, la Commission considère que l’objectif environnemental légitime poursuivi par la France pourrait être atteint par des moyens moins contraignants pour les opérateurs économiques, comme des QR codes, des étiquetages numériques ou des dispositifs d’information harmonisés. L’imposition d’un logo graphique unique apposé physiquement sur chaque produit est donc, selon elle, une mesure disproportionnée.
Une procédure engagée depuis 2023
La procédure d’infraction avait été engagée dès février 2023 par une lettre de mise en demeure, suivie d’un avis motivé notifié en novembre 2024. Faute de réponse satisfaisante des autorités françaises, la Commission a décidé de porter l’affaire devant la CJUE.
Vers une harmonisation européenne de l’étiquetage des déchets
Cette affaire intervient dans un contexte de réforme du droit européen de l’emballage. Le règlement (UE) 2025/40 sur les emballages et les déchets d’emballages, adopté récemment, prévoit l’harmonisation de l’étiquetage en matière de tri à l’échelle de l’UE. Les États membres devront notamment garantir l’apposition de marquages communs sur les emballages et sur les contenants de collecte, avec la possibilité de recourir à des solutions numériques (QR code, passeport numérique, etc.). L’entrée en application progressive de ces règles est prévue à partir de 2026, avec un plein effet obligatoire en 2028.
La position française pourrait donc être remise en cause à double titre : juridiquement par la CJUE à court terme, et réglementairement par le droit européen à moyen terme.
Enjeux économiques et politiques
Pour la Commission, l’affaire dépasse la simple question d’un logo. Elle illustre un enjeu fondamental : garantir que la transition écologique ne se fasse pas au détriment du marché intérieur et de l’intégration économique européenne. La fragmentation réglementaire, si elle devait se multiplier, pourrait nuire à la compétitivité des entreprises, en particulier des PME, et freiner la réalisation des objectifs du Pacte vert européen.
En poursuivant la France, la Commission affirme donc sa volonté de faire respecter l’unité du marché intérieur, tout en préparant le terrain à une signalétique harmonisée au service de la durabilité.
Lien vers la réglementation
- Décret n° 2021 835 du 29 juin 2021 : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043714227
- Directive (UE) 2015/1535: https://eur-lex.europa.eu/legal content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32023R1542
- Règlement (UE) 2025/40 sur les emballages et les déchets d’emballages : https://eur-lex.europa.eu/eli/reg/2025/40/oj?eliuri=eli%3Areg%3A2025%3A40%3Aoj&locale=fr
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