La cour d’appel de Paris vient ajouter de nouveaux critères subjectifs pour apprécier le contrôle de fait d’une société sur une autre.
La cour d’appel de Paris vient, dans un arrêt du 22 avril 2025, apporter sa propre interprétation du « contrôle de fait » à l’occasion de l’examen d’un recours en annulation introduit par un des actionnaires minoritaires d’une décision de l’Autorité des marchés financiers (AMF), en ce qu’elle a considéré que d’article 236-6 de son règlement général, « Mise en œuvre éventuelle d’une offre publique de retrait », n’était pas applicable dans le cadre du projet de scission de Vivendi SE en quatre entités distinctes.
Sans entrer ici dans l’analyse des aspects boursiers, l’application dudit article dépendait du point de savoir si le groupe Bolloré exerçait bien un contrôle sur Vivendi, au sens de l’article L. 233-3, I, 3°, du Code de commerce.
La cour a donc eu à se prononcer sur ce qu’il faut entendre par « contrôle de fait » selon la définition
qui en est donnée à l’article L. 233-3, 1, 3° du Code de commerce, qui dispose que « toute personne, physique ou morale, est considérée […], comme en contrôlant une autre […], lorsqu’elle détermine en fait, par les droits de vote dont elle dispose, les décisions dans les assemblées générales de cette société ». Les défendeurs et le ministère public soutenaient que le contrôle, au sens de l’article L. 233-3 du Code de commerce, s’entend essentiellement de la détention d’une majorité des droits de vote au sein des assemblées générales, à la fois pour le contrôle de droit (1° et 2° du I dudit article), le contrôle de fait (3°du I), la présomption de contrôle (II) et le contrôle conjoint (III). C’est donc, selon eux, le seuil de 50 % des droits de vote en assemblée générale qui est décisif pour la qualification du contrôle d’une société.
Or, le groupe Bolloré détenait en moyenne, au cours des dernières assemblées générales, 43,39 % de Vivendi, ce qui ne pouvait donc pas faire de lui un associé exerçant le contrôle de fait de cette société.
Toutefois, la cour, faisant appel aux travaux parlementaires ayant précédé la rédaction de cet article,
considère qu’en ce qui concerne le contrôle de fait, la loi fait simplement référence aux droits de vote, mais sans indiquer de pourcentage de détention. Elle en déduit qu’il convient de prendre en compte non seulement les droits de vote exercés dans les assemblées générales, mais aussi un ensemble de circonstances, telles que (i) la qualité de principal actionnaire de celui dont le contrôle est allégué, (ii) son éventuelle position stratégique au sein de l’assemblée générale, (iii) la notoriété dont il est susceptible de bénéficier et (iv) l’éventuelle dispersion des titres dans le public.
Ainsi, bien que le groupe Bolloré ne puisse pas prendre seul des décisions en assemblée générale au regard de ses droits de vote, la cour a considéré que, compte tenu de la dispersion du capital, de la notoriété de M. Bolloré qui lui confère une autorité particulière en assemblées générales, le groupe Bolloré exerçait un contrôle de fait sur Vivendi.
Si l’on ne peut que reconnaître la place incontournable du groupe Bolloré parmi les associés de Vivendi, il n’en demeure pas moins qu’il ne détermine pas seul, par les droits de vote dont il dispose, les décisions dans les assemblées générales de cette société.
La cour d’appel vient donc ajouter des critères subjectifs là où la loi n’en prévoit pas. En effet, si l’on suit les nouveaux critères de ses magistrats, il faudra à l’avenir non seulement examiner le niveau de dispersion du capital mais aussi se poser la question de savoir si le pedigree des représentants du groupe détenant le plus grand nombre de titres d’une société leur permet d’avoir une influence telle qu’elle permettrait d’en avoir le contrôle.
On ajoutera que si le législateur a voulu introduire un niveau de détention inférieur à 50 %, il l’aurait
fait comme il l’a fait pour l’article L. 233-3 II où il vise clairement le seuil de 40 %. Ce nouvel arrêt apporte une insécurité juridique là où la loi et la jurisprudence antérieures apportaient une réponse claire. Il faudra donc s’intéresser aux suites judiciaires de ce conflit pour savoir comment la Cour de cassation tranchera, si toutefois un pourvoi est introduit auprès d’elle.
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Associé en conseil en M&A, private equity et droit des sociétés, Arnaud Langlais est intervenu sur plus d’une centaine de transactions et opérations stratégiques pour des entités aussi bien privées que publiques : relations entre actionnaires, joint-venture, acquisitions, prises de participations majoritaires ou minoritaires