Les décisions rendues par la Cour de cassation le 10 juillet 2024 commentées ci-après et par la Cour d’appel de Paris le 18 octobre 2024 qui a fait l’objet d’un précédent article publié dans ces colonnes, s’inscrivent dans un courant jurisprudentiel favorable aux entreprises. Elles ont rétabli un cadre plus sécurisé pour les clauses dites de « bad leaver », très souvent contestées et, plus généralement, pour les « management packages ». Cette décision de cassation du 10 juillet apporte des clarifications importantes sur la déterminabilité du prix et la validité du contrat en cas de départ d’un « bad leaver » et, plus précisément de cession de parts sociales en contrepartie de Bon de Souscription d’Actions (BSA). Toutefois, cet élan d’espoir s’est éteint à la suite de l’adoption de la Loi de Finances 2025, le 14 février dernier, qui soulève d’ailleurs des questions techniques faisant l’objet de discussions avec les services de Bercy.
Le nouveau régime s’applique au gain net réalisé sur tous les titres souscrits ou acquis par des salariés ou des dirigeants, ou sur les titres qui leur sont attribués gratuitement et qui est la contrepartie des fonctions de salarié ou de dirigeant exercées dans la société émettrice des titres concernés ou d’une société du groupe.
La part du gain n’excédant pas selon le nouvel article 163H du Code général des impôts un « multiple de la performance égal à trois fois le ratio entre 1° La valeur réelle de la société émettrice à la date de cession des titres et 2° la valeur réelle de la société émettrice à la date d’acquisition ou de souscription desdits titres ou, s’agissant des actions gratuites, celle de leur attribution » sera taxée selon le régime des plus-values sur valeurs mobilières (pour simplifier au taux maximal de 34 % hors contribution différentielle), tandis qu’en dessous de trois fois cette valeur, le gain reste assujetti au traitement fiscal issu des arrêts du Conseil d’Etat de juillet 2021, c’est-à-dire le barème progressif jusqu’au taux marginal de 49 % (45% + 4% de contribution exceptionnelle) auquel s’ajoute une contribution sociale forfaitaire de 10% c’est à dire, jusqu’à 59%.
La Loi de Finances 2025 a donc éteint la lueur d’espoir née de l’arrêt du 18 octobre 2024 rendu par la Cour d’Appel de Paris que nous avions commenté dans ces colonnes et aussi celui de la Cour de cassation (« la Cour ») en date du 10 juillet 2024 n°22-15.651 (« l’Arrêt ») que nous analysons ci-dessous clarifiant la question de la détermination du prix d’une clause de bad leaver.
Rappelons qu’un Bon de Souscription d’Actions (BSA) est un instrument financier donnant à son détenteur le droit de souscrire à des actions à un prix prédéterminé à une date future. Dans le cadre d’une cession de parts sociales, la question de la déterminabilité du prix et de la validité du contrat a été clarifiée par l’arrêt de la Cour de cassation du 10 juillet 2024 (n°22-15.651).
Les faits concernent M.X, fondateur de la société Komilfo, qui a cédé l’intégralité de ses parts sociales à la société Esearch Vision en échange de BSA. La cession stipulait que les BSA deviendraient caducs en cas de licenciement pour faute grave de M.X dans les cinq ans suivant la souscription. M.X a été licencié pour faute grave en 2017, rendant donc les BSA caducs. Ce cas de figure est fréquent en pratique et donne lieu à un abondant contentieux.
M.X a saisi le conseil des prud’hommes pour requalifier son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse, mais a été débouté. Il a ensuite assigné la société devant le tribunal de commerce de Paris, demandant l’annulation de la cession et une indemnisation de 239 998 euros.
Le tribunal a rejeté sa demande, estimant que M.X était bien informé des conditions d’attribution des BSA. M.X a fait appel, la Cour d’appel a annulé le contrat, estimant que la qualification de la faute grave était de la seule compétence de la société, rendant ainsi le prix indéterminable. La société a formé un pourvoi en cassation.
Le prix des parts sociales, lié à un événement futur comme un licenciement pour faute grave, peut-il être considéré comme indéterminable et donc invalider le contrat ?
A. La déterminabilité du prix
L’article 1591 du Code Civil stipule que « Le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties ». La déterminabilité du prix repose sur la méthode de fixation convenue par les parties, le prix ne doit pas dépendre de la seule volonté d’une des parties, mais doit être fixé de manière objective.
En l’espèce, la caducité des BSA en cas de licenciement pour faute grave a soulevé un problème de déterminabilité du prix. La Cour d’appel a estimé que cette condition rendait le prix indéterminable et inexistant, car il dépendait uniquement de la volonté de la société, la Cour a jugé que l’élément de fixation du prix était lié à un événement conditionnel, et donc soumis à une certaine subjectivité de la société, ce qui remettait en cause la sécurité juridique du contrat.
La Cour de cassation a toutefois précisé que le prix peut être déterminé de manière différée à condition que les critères de détermination soient objectifs, indépendants de la volonté des parties, et suffisamment clairs au moment de la conclusion du contrat. Le prix, bien que conditionné à un événement futur (le licenciement pour faute), était suffisamment objectif pour être validé.
B. L’absence de contrepartie
La Cour d’appel avait annulé le contrat en raison de l’absence de contrepartie, estimant que le licenciement pour faute grave de M.X le privait de toute contrepartie. M.X avait soutenu que la période d’exercice des BSA était une période de « blocage » en raison de l’absence de prix déterminé, rendant ainsi les BSA caducs en cas de licenciement pour faute grave.
La société, quant à elle, a argumenté que le prix était déterminable, bien qu’il soit lié à un événement futur, et pouvait être contrôlé judiciairement. La Cour de cassation a confirmé que, bien que le licenciement pour faute grave soit un événement futur, il est basé sur des critères objectifs (la qualification de la faute grave) et que la déterminabilité du prix était assurée par la présence de ces critères objectifs.
Elle a donc validé la cession, estimant que le prix, bien que conditionné par un événement futur, était suffisamment déterminable et ne dépendait pas de la seule volonté de la société.
L’arrêt rendu par la Cour de cassation clarifie donc la question de la déterminabilité du prix dans le cadre d’un contrat de cession de parts sociales, même lorsque le prix dépend d’un événement futur. Elle rappelle que l’article 1591 du code civil n’implique pas un prix déterminé dans le contrat, mais que ce dernier soit déterminable et que cela est le cas « lorsqu’il est lié à la survenance d’un évènement futur ne dépendant pas de la seule volonté de l’une des parties ni d’accords ultérieurs entre elles ». Cette décision renforce la sécurité juridique des contrats de cession de parts sociales et des instruments financiers tels que les BSA.
En conclusion, l’Arrêt précise de manière pragmatique les conditions de déterminabilité différée du prix de cession dans le cadre d’une clause bad leaver. Il souligne l’importance d’une rédaction précise de cette clause tout en rappelant l’importance d’une certaine souplesse. En effet, la Cour a considéré que le contrat de cession comportait des éléments assez objectifs pour assurer la déterminabilité du prix de cession. Cet Arrêt comme celui de la Cour d’appel de Paris du 18 octobre 2024 ont créé un cadre pragmatique, globalement favorable aux entreprises. Néanmoins l’adoption de la Loi de Finances 2025 et le traitement fiscal défavorable des « management packages » au-delà du ratio de trois fois la « performance » explicité ci-dessus, a fait oublier ces avancées jurisprudentielles pourtant encourageantes !