Une suspension déguisée des obligations de vigilance
Le Conseil de l’UE a adopté, le 18 juillet 2025, une modification du règlement (UE) 2023/1542 relatif aux batteries, reportant de deux ans l’entrée en vigueur des obligations de devoir de vigilance environnementale. Initialement prévues pour le 18 août 2025, elles ne s’appliqueront désormais qu’à partir du 18 août 2027.
Officiellement, il s’agit d’un « ajustement technique » pour laisser le temps aux producteurs et aux États membres de désigner les organismes d’évaluation de conformité. En réalité, cette mesure participe d’un mouvement plus large : le démantèlement progressif des exigences environnementales européennes, sous couvert de simplification réglementaire.
Les principales modifications apportées par ce « stop-the-clock » sont les suivantes :
- Report de deux ans de l’obligation de mise en place de mécanismes de diligence raisonnée.
- Ajout d’un délai pour la publication par la Commission des lignes directrices (attendues pour mi-2026).
- Suspension implicite des contrôles et sanctions liées à ces obligations durant la période transitoire.
L’industrie des batteries, pourtant cruciale pour la transition énergétique, voit donc ses garde-fous environnementaux désactivés au moment même où l’UE prétend accélérer sa souveraineté verte.
Omnibus IV : la simplification comme arme de démantèlement réglementaire
Ce report n’est pas un cas isolé. Il s’inscrit dans le cadre du paquet « Omnibus IV », dernière livraison d’un processus politique engagé dès 2024 et visant à réduire la charge réglementaire pesant sur les entreprises européennes. Officiellement motivé par la recherche de compétitivité face à la Chine et aux États-Unis, ce processus consiste en réalité à évider les textes structurants de la transition écologique européenne.
Sous couvert de simplification :
- La directive CSRD voit ses exigences échelonnées et affaiblies.
- La directive CSDDD a été réduite à la portion congrue, limitant la vigilance aux fournisseurs directs.
- Les délais de mise en œuvre sont systématiquement prolongés, repoussant l’effet utile des normes.
Ce que l’on présente comme un « souffle de simplification » ressemble de plus en plus à un effacement du projet européen de régulation durable. À trop vouloir soulager les entreprises, l’UE semble surtout renoncer à structurer un modèle industriel exigeant mais crédible.
Quand la Chine prend le relais de l’ambition ESG
Le discours politique européen repose encore trop souvent sur un postulat dépassé : celui d’une Chine supposément laxiste en matière de normes environnementales et sociales. Or, les faits contredisent clairement cette vision.
Dès 2024, Pékin a mis en place une norme nationale de traçabilité des minerais destinés aux batteries, imposant aux opérateurs des obligations de déclaration et de contrôle sur l’origine des ressources critiques. Le 15 juin 2025, le ministère chinois de l’Industrie a franchi une étape supplémentaire en adoptant un plan d’action ESG pour la filière batteries, comprenant des exigences obligatoires en matière de recyclage, bilan carbone et audit des sous-traitants.
Les champions industriels chinois tels que CATL ou BYD intègrent désormais des critères ESG dans leurs appels d’offres, non par éthique, mais par stratégie économique : il s’agit de sécuriser leur accès aux marchés internationaux, d’anticiper des législations commerciales croissantes (Ex : MACF), et de s’aligner sur les attentes normatives des grands donneurs d’ordre mondiaux.
En d’autres termes, la Chine ne subit plus l’ESG, elle s’en empare comme levier de compétitivité. L’Europe, elle, fait le chemin inverse : elle temporise, édulcore, reporte, et finit par ouvrir un espace stratégique à ses concurrents, sur le terrain même qu’elle avait contribué à structurer.
Une opportunité stratégique perdue
Ce gel est aussi un signal désastreux à l’international. L’Europe, qui se voulait pionnière de la transition normative, se fait doubler par la Chine sur le terrain qu’elle avait elle-même inventé. L’ambition du Green Deal, incarnée par des normes robustes et des règles claires, s’effrite au contact des lobbies industriels et des arbitrages à court terme.
La vraie fracture n’est plus entre régulateurs ambitieux et acteurs laxistes. Elle est entre ceux qui font de l’ESG un levier stratégique d’influence mondiale, et ceux qui abandonnent leurs principes au nom d’une compétitivité illusoire.
Liens vers la réglementation
- Communiqué de presse du Conseil de l’Union européenne, 18 juillet 2025 : https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2025/07/18/simplification-council-adopts-law-to-stop-the-clock-on-due-diligence-rules-for-batteries/
- Règlement (UE) 2023/1542 : https://eur-lex.europa.eu/legal content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32023R1542
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