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Cession d’entreprise : le devoir d’information du cédant a ses limites !

01 août 2025
Par un arrêt rendu le 26 février 2025, la chambre commerciale de la Cour de cassation se prononce sur la portée du devoir d’information précontractuelle incombant au cédant lors d’une cession de droits sociaux.

En juillet 2019, un acheteur potentiel signe avec les trois associés majoritaires de la société cible une lettre d’intention portant sur la cession de cette dernière pour un prix estimatif de 12,5 millions d’euros. Ce montant non définitif est déterminé sur la base des bilans comptables de la société cible pour les quatre derniers exercices.

Dans le délai convenu, un cabinet d’audit international mandaté par l’acheteur procède à un audit des comptes de la société cible et fait état d’une insuffisance de dotation des provisions pour créances douteuses de l’ordre de 1,2 million d’euros. A l’issue de cet audit, l’acheteur propose un réajustement du prix de cession et subit un refus de la part des cédants qui rompent la négociation.

L’acheteur assigne les cédants en dommages-intérêts pour manquements à l’obligation de négocier de bonne foi et à l’obligation d’information précontractuelle. La cour d’appel rejetant ces demandes, l’affaire est portée devant la Cour de cassation.

La Cour rejette le pourvoi et confirme que l’obligation précontractuelle d’information prévue par
l’article 1112-1 du Code civil est satisfaite lorsque l’acheteur a eu accès à l’ensemble des informations
nécessaires lui permettant d’apprécier la valeur de l’objet de la transaction. La Cour fait simplement
grief aux cédants de ne pas avoir attendu l’issue du délai contractuel de négociation pour rompre celle-ci
sans pour autant conclure à leur mauvaise foi. L’intérêt de cette décision réside dans le principe que
les divergences d’appréciation des données fournies ne constituent pas un manquement au devoir l’information (1) dès lors que les informations pertinentes sont communiquées et que l’acheteur peut procéder à ses propres investigations pour en évaluer la portée (2).

Obligation précontractuelle d’information et divergences d’appréciation

L’obligation précontractuelle d’information : un dispositif encadré par le Code civil

L’article 1112-1 du Code civil, issu de la réforme du 10 février 2016, érige en principe le devoir d’informer
son cocontractant2. Ce devoir est fondamental dans la phase précontractuelle comme le rappelle
la Cour. L’objectif de cette disposition est d’assurer la loyauté dans les négociations et de permettre à chaque partie de s’engager en toute connaissance de cause. Toutefois, cette obligation n’est pas absolue et connaît des limites qu’il convient d’examiner à la lumière de l’arrêt commenté.

Limites de l’obligation précontractuelle d’information : entre mise à disposition et interprétation des données

La question centrale soulevée par cet arrêt est de savoir jusqu’où s’étend l’obligation d’information.
Les juges du fond avaient noté qu’il n’entrait pas dans leur mission d’apprécier le taux appliqué aux
créances douteuses, lequel était certifié par un commissaire aux comptes. Cette position est confortée par la Cour qui établit une distinction entre :

  • l’obligation de mettre à disposition les informations nécessaires à l’appréciation de la valeur d’un
    bien,
  • et l’interprétation de ces informations, qui relève de la responsabilité de chaque partie.

La Cour retient que l’acheteur a bien eu accès aux comptes annuels et annexes des derniers exercices. Il relève également que les audits étaient prévus dès la signature de la lettre d’intention et qu’une salle de
données (dataroom) ainsi qu’un système de questions/ réponses étaient en place, conformément à la
pratique dans ce type d’opérations. Le cabinet d’audit mandaté par l’acheteur a donc pu mener toutes les diligences nécessaires pour conclure que le taux de dépréciation des créances douteuses lui semblait insuffisant et qu’un taux moyen beaucoup plus important devait être appliqué. La question n’était donc pas celle de l’accès à l’information, mais celle de l’appréciation technique divergente entre les parties sur le niveau adéquat de provisionnement des créances douteuses, ce qui relève davantage d’un désaccord professionnel que d’un manquement à l’obligation d’information ou de bonne foi.

Communication des informations et audit de l’acheteur

Les critères d’appréciation retenus par la Cour de cassation

La Cour a développé un raisonnement en deux temps pour apprécier si un manquement à l’obligation
précontractuelle d’information existait en l’espèce.
Premièrement, elle a examiné si l’accès aux informations avait été effectif. La haute juridiction relève
que l’acheteur a eu accès à l’ensemble des informations comptables relatives aux créances douteuses et a été mise en mesure d’en apprécier la valeur. Outre les comptes, l’acheteur a reçu une liste indiquant pour chaque client les caractéristiques de chaque créance et la dépréciation appliquée. Ce premier critère est essentiel : l’obligation d’information implique avant tout de donner accès aux données pertinentes.

Deuxièmement, la Cour a considéré que les divergences des parties à la négociation sur la fixation
du taux de dépréciation des créances étaient sans conséquence juridique sur la qualification d’un manquement à l’obligation précontractuelle d’information. Ce second critère est déterminant car
il trace une frontière claire entre l’obligation d’information et l’appréciation technique des données
fournies.

La Cour de conclure que l’acheteur avait pu obtenir tous les renseignements nécessaires pour se faire sa propre opinion de l’état complet des créances douteuses et du taux de provision leur ayant été
appliqué, et pour en tirer toutes les conséquences qui lui semblaient nécessaires. La frontière entre
l’obligation de délivrer une information et celle de garantir la manière dont cette information doit être
interprétée est clairement établie. Cette solution encourage les parties à recourir à des experts indépendants pour former leur propre opinion sur les données transmises.

L’équilibre juridique entre sécurité des transactions et liberté contractuelle

Cette décision contribue à maintenir un équilibre entre deux principes fondamentaux du droit des contrats : d’une part, elle préserve la sécurité juridique en exigeant une communication complète et loyale des informations déterminantes pour le entreprises par l’acheteur étaient prévues dès la signature de la lettre d’intention et lui ont permis de vérifier toutes les informations relatives aux créances douteuses et aux provisions les concernant sans pouvoir reprocher aux cédants un défaut d’information. D’autre part, elle respecte le principe de liberté contractuelle en reconnaissant que chaque partie reste responsable de l’interprétation qu’elle fait des informations reçues et des conséquences qu’elle en tire. Cette position, qui peut paraître sévère à l’égard de l’acheteur, s’inscrit dans une tendance générale qui privilégie la vigilance et la diligence des opérateurs économiques, particulièrement lorsqu’ils disposent de conseils professionnels.

Conclusion : l’arrêt du 26 février 2025 apporte une contribution significative à la compréhension de
l’obligation précontractuelle d’information dans les cessions d’entreprise. Selon la Cour, cette obligation est satisfaite dès lors que toutes les données pertinentes sont mises à la disposition de l’autre partie qui peut les analyser librement avec l’assistance de ses conseils.

Loin d’affaiblir la protection des parties en négociation, cette décision renforce la sécurité juridique en délimitant clairement ce qui relève de l’obligation d’information (communication des données) et ce
qui relève de la responsabilité de chaque partie (interprétation de ces données). Elle incite le cédant à s’assurer de la qualité des informations transmises et l’acheteur à faire preuve de diligence dans l’analyse
des informations reçues, particulièrement dans les transactions complexes impliquant des appréciations
techniques pointues.

Cette solution jurisprudentielle devrait servir de référence dans les opérations de cession d’entreprise où les divergences d’appréciation technique sont fréquentes sans pour autant constituer un manquement à l’obligation précontractuelle d’information ni au principe de bonne foi.

Notre équipe en droit des sociétés reste à votre disposition pour vous accompagner sur ces sujets

Benoit Charrière-Bournazel, Avocat Associé chez DS Avocats en droit des sociétés, M&A et financement

Avocat aux Barreaux de Paris et de New York, Solicitor de la Cour Suprême d’Angleterre et du Pays de Galles, Benoît Charrière-Bournazel intervient dans le domaine du droit des affaires français et international. Il assiste ses clients français et étrangers dans le cadre de leurs opérations de croissance externe (fusions-acquisitions, private equity, venture capital, joint-venture, alliances stratégiques…), de leurs problématiques en droit des sociétés (gouvernance d’entreprises, compliance…), de leurs investissements internationaux et de leurs contentieux et arbitrage liés à ces sujets.

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