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La faculté pour le fournisseur d’interdire à ses distributeurs la revente sur internet : où en est-on ?

20 septembre 2019

Les « têtes de réseau » peuvent-elles interdire à leurs distributeurs de vendre les produits contractuels sur internet ? Apporter des éléments de réponse à cette question nécessite au préalable un bref rappel des principes de la distribution sélective.

Le Règlement UE n°330/2010 définit la distribution sélective comme « un système de distribution dans lequel le fournisseur s’engage à ne vendre les biens ou les services contractuels, directement ou indirectement, qu’à des distributeurs sélectionnés sur la base de critères définis, et dans lequel ces distributeurs s’engagent à ne pas vendre ces biens ou services à des distributeurs non-agréés dans le territoire réservé par le fournisseur pour l’opération de ce système ».

Un système de distribution sélective échappe à l’interdiction de principe des ententes (article 101, §1 du Traité fondateur de l’Union Européenne – TFUE) sous 3 conditions générales, issues d’une jurisprudence ancienne1 :

(i) que le choix des revendeurs s’opère en fonction de critères qualitatifs objectifs, fixés de manière uniforme à l’égard de tous revendeurs potentiels et appliqués de façon non-discriminatoire ;

(ii) que les propriétés du produit nécessitent, pour en préserver la qualité et en assurer le bon usage, un tel réseau de distribution ; c’est pourquoi sont traditionnellement considérés comme autorisant un réseau de distribution sélective les produits de luxe, techniques ou fragiles ;

(iii) que les critères définis n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire.

Pour ce qui est de la vente sur internet, celle-ci n’est pas spécifiquement abordée par le Règlement UE n°330/2010. Mais les Lignes directrices du Règlement s’y réfèrent : « en principe, tout distributeur doit être autorisé à utiliser internet pour vendre ses produits » (point 52), et le distributeur peut avoir sur internet une démarche active et passive (point 56).

Il était donc inévitable que les Tribunaux soient saisis de la question de la vente en ligne par les distributeurs membres du réseau.

La jurisprudence en la matière remonte à la « saga » des décisions concernant PIERRE FABRE DERMO-COSMETIQUE2. Ces diverses procédures ont permis de fixer la règle de principe selon laquelle la clause du contrat de distribution interdisant aux distributeurs de vendre en ligne constitue une restriction de concurrence par objet.

Le fournisseur ne peut donc pas interdire à ses distributeurs de vendre en ligne, mais les distributeurs doivent respecter les critères qualitatifs de sélection y compris pour les ventes en ligne.

Des produits « complexes » aux produits de luxe

La jurisprudence française BANG & OLUFSEN3 a ensuite marqué une atténuation de cette règle de principe. Il en résulte que si le fournisseur ne peut interdire au distributeur de vendre en ligne les produits non-élaborés ne nécessitant pas de démonstration en magasin, il est en revanche en droit d’interdire au distributeur de vendre en ligne les produits dits complexes. Ayant porté dans son contrat de distribution une interdiction générale de vente en ligne, BANG & OLUFSEN se voit refuser le bénéfice de l’exemption individuelle qu’elle sollicitait.

La Cour de Justice de l’Union Européenne s’est rangée à cette appréciation plus nuancée, dans une affaire concernant le fabricant de produits cosmétiques COTY4. Un fournisseur de produits de luxe peut interdire la revente de ses produits via des plateformes tierces, afin de préserver l’image de sa marque, à condition que cette interdiction soit proportionnée. Sous les conditions traditionnelles de licéité du réseau, « un système de distribution sélective de produits de luxe visant, à titre principal, à préserver l’image de luxe de ces produits » est conforme à l’article 101, §1 TFUE.

En 2018, la Cour d’appel de Paris a suivi l’avis de la CJUE5 dans une autre affaire COTY (produits cosmétiques, dits de luxe), puis dans le secteur de la parapharmacie dans une affaire CAUDALIE6. Considérant que « le seul fait qu’il s’agisse de produits de pharmacie n’en fait pas des produits banals », la Cour a jugé que les produits CAUDALIE sont des produits de luxe pas seulement du fait de leurs « caractéristiques matérielles », « mais également de l’allure et de l’image de prestige qui leur confèrent une sensation de luxe ». Le fournisseur pouvait donc en interdire la revente en ligne. A cette occasion, la Cour d’appel de Paris a jugé sur renvoi de la Cour de cassation7, qui avait cassé un premier arrêt de la Cour d’appel de Paris8.

En 2015, celle-ci avait alors jugé que CAUDALIE n’avait pas justifié de la licéité de son réseau de distribution sélective sur internet, suivant ainsi deux décisions de l’ADLC rendues dans le secteur des « produits bruns » (TV)9.

Prise en compte de la dangerosité du produit ?

En mars 2018, l’Autorité de la Concurrence a statué sur les pratiques du fabricant de matériel d’outillage STIHL10, qui n’autorisait la revente sur internet qu’à condition qu’intervienne une « mise en main » physique du produit, c’est-à-dire nécessairement un retrait du produit dans le magasin du revendeur ou une livraison par le revendeur au domicile de l’acheteur. L’ADLC a alors examiné la question de l’interdiction de vente en ligne des produits en fonction de leur dangerosité.

Après avoir retenu la licéité du réseau compte tenu de la dangerosité des produits et de la nécessité d’en préserver la qualité, l’ADLC a jugé :

  • que la tête de réseau ne peut interdire la vente en ligne par ses distributeurs des produits au motif qu’ils sont dangereux (l’obligation de « mise en main » physique revenait de facto à interdire la vente sur internet),

  • mais qu’en revanche le fournisseur pouvait interdire à ses distributeurs d’avoir recours à des plateformes, car concernant (i) les produits non-dangereux, il s’agit pour le fournisseur de pouvoir s’assurer de la provenance des produits ainsi que de l’absence de contrefaçon ou de malfaçons, mais également de vérifier si la présentation des produits sur internet est qualitative ; et concernant (ii) les produits dangereux, il faut que le fournisseur puisse garantir le bon fonctionnement des produits et assurer la transmission des conseils et informations d’utilisation dans les meilleures conditions de sécurité.

Si la faculté pour le fournisseur d’interdire à ses distributeurs la vente en ligne a gagné du terrain – des produits « complexes » aux produits de luxe, puis aux produits « non-banals » -, elle reste encore limitée, puisqu’elle ne s’étend pas aux produits dangereux (dont le fournisseur peut cependant interdire la vente via des plateformes tierces, affaire STIHL).

Bien évidemment, l’appréciation par les juridictions de la faculté des distributeurs à vendre en ligne reste toujours conditionnée à l’examen de la licéité du réseau de distribution. Et au-delà du type de produit concerné, les juridictions restent attentives à ce que par une interdiction de revente en ligne, le fournisseur ne poursuive pas en réalité le but de développer les ventes en ligne depuis son propre site11.

Cet article a été rédigé par l’équipe Viginti Avocats.

Notes

1CJCE 25 octobre 1977, arrêt Metro

2CJUE (saisie le 10 novembre 2009 par la Cour d’appel de Paris sur question préjudicielle), 13 octobre 2011, C-439/09

3ADLC, 12 décembre 2012, n°12-D-23, puis CA Paris 13 mars 2014, n°2013/00714

4CJUE, 6 décembre 2017, C-230/16

5CA Paris 5/4, 28 février 2018, n°16/02263, Coty

6CA Paris, 13 juillet 2018, n°17/20787, Caudalie

7Cass com, 13 septembre 2017, n° 16-15067

8CA Paris, 2 février 2016, n° 15/01542

923 juillet 2014, n°14-D-07, et 24 juin 2015, n°15-D-11

10ADLC, 24 mars 2018, n°18-D-23

11Com C(2018) 8455, AT40428, 17 décembre 2018, GUESS

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