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Rappel et actualité sur le principe d’indivisibilité en droit des contrats

31 octobre 2018

L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 3 octobre 2018 en matière de contrat informatique est l’occasion de faire le point sur le droit des contrats et notamment sur la notion d’indivisibilité et d’interdépendance des contrats.

Le litige en question porte sur un contrat de prestation informatique signé entre deux sociétés. L’article 2 du contrat prévoit la fourniture d’un logiciel avec la fourniture de 130 licences d’utilisation, ainsi que des prestations d’intégration du logiciel et des prestations accessoires.

Suite à la constatation de retards et d’anomalies dans l’exécution du contrat, le client met en demeure le prestataire de s’exécuter. Bien évidemment, le prestataire conteste les raisons de ce retard et sa responsabilité. Sans tenir compte de cela, le client notifie au prestataire, sur le fondement de l’article 23-1 du contrat, la résiliation unilatérale du contrat et l’assigne devant le Tribunal de commerce de Paris.

Le client souhaite obtenir le remboursement des licences logiciel dont le coût s’élève à 103 807 euros hors taxes. Pour justifier sa demande, le client développe l’argumentaire selon lequel le contrat d’intégration et le contrat de licence sont des contrats indivisibles. Par conséquent, la résiliation du contrat d’intégration à raison du retard d’exécution doit avoir pour effet de rendre caduc le contrat de fourniture de licences logiciel. Le second contrat étant caduc, les sommes versées pour l’obtention des licences d’utilisation du logiciel doivent lui être restituées.

Le prestataire prétend pour sa part qu’il s’agit de prestations distinctes et que la résiliation du premier ne peut avoir pour conséquence la résolution du second. En outre, le prestataire démontre avoir fourni toutes les licences d’utilisation logiciel et leur clef, et non uniquement « trois codes licences ». Selon le prestataire, le client aurait donc pu faire appel à un autre prestataire pour l’intégration du logiciel. En conséquence de tout cela, il n’existe pas de justification au remboursement des sommes payées pour les licences logiciel.

La Cour d’appel n’adopte pas le raisonnement du client et concentre son analyse sur le comportement respectif des parties et l’économie générale du contrat. Elle se contente d’évoquer l’argument du client, sans pour autant prendre position sur la question : « nonobstant l’interdépendance contractuelle entre le contrat de licence et le contrat d’intégration invoquée par l’appelante ». Puis, elle énonce que la demande provisionnelle en paiement dont elle est saisie suppose une appréciation du comportement des parties et notamment la recherche d’une faute de l’une ou l’autre des parties.

Le principal élément de discussion tourne autour de la délivrance des licences d’utilisation du logiciel au client. Alors que le client soutient n’avoir reçu que trois codes licences, le prestataire soutient à l’inverse avoir livré toutes les licences prévues au contrat. Au regard des éléments de preuve qui lui sont soumis, la Cour d’appel constate qu’il existe « une contestation sérieuse quant à l’obligation de restitution du coût des licences ». Elle confirme donc, sur le fondement de l’article 873 alinéa 2 du code de procédure civile, l’ordonnance de référé du tribunal de commerce et refuse d’octroyer au client une provision.

L’arrêt rendu par la Cour d’appel ne préjuge pas de l’éventuelle indivisibilité (ou interdépendance) des prestations. Aussi peut-on s’interroger sur la possible application de cette qualification.

Pour rappel, deux arrêts rendus par la chambre mixte de la Cour de cassation le 17 mai 2013 (ici et ici) ont permis de mieux définir la notion. Constituent des contrats indivisibles (ou interdépendants) les « contrats concomitants ou successifs s’inscrivant dans une opération incluant une location financière » (communiqué de presse de la Cour de cassation sur ces deux affaires).

Depuis la réforme du droit des obligations, cette notion figure à l’article 1186, alinéas 2 et 3, du Code civil :

« Lorsque l’exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d’une même opération et que l’un d’eux disparaît, sont caducs les contrats dont l’exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l’exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie.

La caducité n’intervient toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l’existence de l’opération d’ensemble lorsqu’il a donné son consentement. »

La notion s’est donc quelque peu élargie depuis la réforme puisqu’il n’est plus fait référence à une « opération incluant une location financière » mais à la réalisation d’une « même opération ». L’utilisation de cette notion implique donc, d’une part, que la suppression d’un contrat « rend impossible » l’exécution des autres contrats et, d’autre part, que les contractants « connaissaient l’existence d’une opération d’ensemble ».

Le contrat de prestation informatique qui prévoit la fourniture d’un logiciel et de licences d’utilisation, des prestations d’intégration du logiciel, ainsi que des prestations accessoires, peut-il se voir appliquer la qualification de contrats interdépendants ?

À première vue, il semblerait que non.

Tout d’abord, il ne s’agit pas de plusieurs contrats mais, ainsi que le relève la Cour d’appel, d’un seul et unique contrat intitulé « contrat d’intégration et de prestations complémentaires » qui prévoit plusieurs obligations en son article 2. Ensuite, comme le souligne le prestataire, la résiliation du contrat d’intégration ne rend pas impossible l’exploitation des licences d’utilisation du logiciel par le client : celui-ci peut avoir recours à un autre prestataire pour l’intégration du logiciel. Les conditions de l’article 1186 ne seraient donc pas applicables.

Toutefois, il faut se garder d’affirmer de manière péremptoire que cette qualification doit être rejetée.

En premier lieu, le client ayant résilié « le contrat d’intégration », on peut se demander s’il ne s’agit pas réellement de deux contrats (intégration et livraison de licences d’utilisation de logiciel). En deuxième lieu, on pourrait s’interroger sur la volonté des parties contractantes de rendre ces prestations interdépendantes. En particulier, on peut se demander si le client peut réellement demander à un autre prestataire de procéder à l’intégration en cette situation, notamment dans l’hypothèse où le logiciel est détenu en exclusivité par ce prestataire. Enfin, ainsi que le rappelle une décision récente de la Cour de cassation, la réforme du droit des obligations n’est entrée en vigueur qu’au 1er octobre 2016 et ne s’applique donc pas aux contrats conclus avant cette date. Le(s) contrat(s) litigieux ayant été signé(s) le 22 septembre 2016, il faudrait donc appliquer la jurisprudence issue des arrêts de 2013.

En matière de contrats informatiques, la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion d’indiquer en 2007 que les contrats d’octroi de licences logiciel et contrats de maintenance peuvent constituer un « ensemble contractuel complexe et indivisible ». Elle avait également eu l’opportunité en 2013 de qualifier d’interdépendant le contrat d’intégration logiciel accompagné de la location de matériel. Il ne s’agissait toutefois pas d’une affirmation générale valant pour tous les contrats de ce type mais bien d’une analyse au cas par cas.

En prolongeant ces analyses, l’octroi de licences d’utilisation pourrait s’analyser comme une location financière et participer d’une seule et même opération avec le contrat d’intégration : l’installation d’un logiciel chez le client. Cette situation n’est d’ailleurs pas sans rappeler un autre arrêt de 2007 dans lequel la Cour de cassation avait qualifié d’indivisibles quatre contrats : un contrat de licence, un contrat de maintenance informatique, un contrat de formation et un contrat de mise en œuvre « du programme Oracle application ».

La position retenue de la Cour d’appel s’inscrit donc à la fois dans la continuité des arrêts précités et la possible reconnaissance d’une interdépendance des contrats, tout en laissant entrouverte la porte à un rejet de cette qualification qui est « invoquée par l’appelante ». La seule certitude tant au regard des nouvelles dispositions du Code civil que des arrêts précités est qu’il vaut mieux indiquer dans les contrats leur possible indivisibilité ou au contraire l’exclure.

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