Pour apprécier la durée du préavis qui aurait dû être accordé, le juge ne doit pas tenir compte des circonstances postérieures à la rupture, quand bien même celles-ci établissent que la partie victime de la rupture a pu se reconvertir avant le terme du préavis.
Un fournisseur, en relation commerciale depuis 56 ans avec son distributeur, lui notifie la rupture de la relation contractuelle moyennant un préavis de 18 mois, que le fournisseur portera ensuite à 30 mois, suite à une demande en ce sens du distributeur.
Toutefois ayant obtenu un nouveau panneau qui exigeait une exclusivité, le distributeur refuse la prolongation de préavis qui lui était proposée afin de pouvoir engager le partenariat avec son nouveau concédant.
Bien qu’ayant effectué sa reconversion, et ce avant même la fin du préavis initial, le distributeur assigne le fournisseur en rupture brutale de la relation commerciale établie, faisant valoir que c’est un préavis de 36 mois qui aurait dû lui être accordé.
Par un arrêt rendu en 2020, la Cour d’appel de Paris avait jugé que la prolongation du préavis de 18 à 30 mois était sans effet, mais avait cependant considéré que le préavis de 18 mois était suffisant en regard de l’ancienneté de la relation et des autres circonstances de la rupture. Le distributeur s’était alors pourvu devant la Cour de cassation.
Par un arrêt du 1er juin 20221, la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel de Paris au motif que celle-ci, si elle avait jugé le préavis de 18 mois suffisant, n’avait pas précisé quelle était la durée du préavis qui devait au cas d’espèce être accordé compte tenu de l’ancienneté de la relation et des autres circonstances de la rupture. Autrement dit, il appartient à la juridiction d’indiquer d’abord quel préavis aurait dû être accordé, puis ensuite de statuer sur le caractère suffisant ou insuffisant du préavis effectivement accordé. Dans cette affaire, la Cour d’appel de Paris s’était dispensée de la première étape du raisonnement.
A l’occasion de cet arrêt, la Cour de cassation rappelle (comme la Cour d’appel de Paris l’avait fait dans son arrêt de 2020) que le juge n’a pas à se fonder sur une circonstance postérieure à la rupture pour apprécier si le préavis accordé est ou non suffisant. La Cour de cassation perpétue ainsi une jurisprudence remontant à 2012 et 2013, pourtant assez largement critiquée. Le refus intransigeant de prendre en considération les circonstances postérieures à la rupture apparaît en effet particulièrement choquant dans des circonstances telles que celles de la présente affaire (et il en était de même dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts de 2012 et 2013), où le distributeur anticipe la fin du préavis qui lui a été accordé, ceci en raison d’une solution de redéploiement qu’il est parvenu à trouver, mais poursuit néanmoins le fournisseur au motif d’un préavis insuffisant !
Un peu de pragmatisme serait bienvenu dans l’appréciation par les juges du préavis suffisant, en revenant aux « fondamentaux » de la raison d’être d’un préavis : permettre la reconversion de la partie victime de la rupture.
Note
1Cass com, 1er juin 2022, n° 20-18960, Claas France c. Ets Baudet