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Le règlement P2B : une opportunité pour la lutte contre la contrefaçon ?

09 septembre 2020

Les nouvelles règles P2B seraient-elles une opportunité intéressante pour les titulaires de marques qui cherchent à contrôler la vente de produits contrefaisants sur ces plateformes ?

Depuis l’entrée en vigueur du Règlement européen « Platform to Business », les plateformes d’intermédiation doivent revoir leurs conditions générales pour qu’elles respectent de nouveaux principes de transparence et d’équité. A ce titre,  l’information sur le fonctionnement de la plateforme et sur les droits de propriété intellectuelle est renforcée.

Ces nouvelles règles seraient-elles une opportunité intéressante pour les titulaires de marques qui cherchent à contrôler la vente de produits contrefaisants sur ces plateformes ? Adoptons une démarche prospective !

Article publié dans Expertises Droit, Technologies & Prospectives

L’arrêt Coty/Amazon de la Cour de justice de l’Union européenne1 (CJUE) en date du 2 avril 2020 a été largement commenté dans le monde juridique. En résumé, la CJUE estime que le simple entreposage par les entités d’Amazon, pour le compte d’une entreprise qui vend des produits portant atteinte aux droits de Coty sur ses marques, ne constitue pas un usage à titre de marque. Dès lors, selon les juges européens, Amazon ne contrevient pas aux droits que détient Coty sur les marques en cause.

La CJUE, contrairement à l’avocat général, ne fait pas de distinction entre le service « Expédié par Amazon » et l’activité classique d’entrepositaire.

Dans ses conclusions, l’avocat général a considéré que le service « Expédié par Amazon » permettait à la plateforme d’intermédiation d’optimiser la présentation des offres, de les promouvoir, d’encaisser les paiements, de gérer le SAV, les retours de produits, etc.2, caractérisant ainsi un rôle actif de la plateforme,  non  compatible avec le statut de fournisseur  d’hébergement de l’article 14 de la directive 2000/31/CE. Dans sa décision, la CJUE refuse de se prononcer sur la perte du statut  d’hébergeur par Amazon, car ce point n’est pas soulevé dans la question préjudicielle posée par la juridiction nationale3

Cet arrêt symptomatise la difficulté de régir les relations entre plateformes en ligne et entreprises utilisatrices de services d’intermédiation, notamment en raison d’un faible arsenal  juridique dont disposent les juges pour intervenir en la matière.

Cela pourrait changer depuis l’entrée en vigueur le 12 juillet 2020 du règlement (UE) n°2019/1150 du 20 juin 2019 promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices du service d’intermédiation en ligne, dit règlement « Platform to Business » ou encore règlement « P2B ». En effet, à la lumière des nouvelles exigences imposées par le règlement, les entreprises utilisatrices devraient recevoir plus d’informations sur le fonctionnement des plateformes et sur la gestion des droits de propriété intellectuelle.

Dès lors, pourraient-elles mieux se défendre dans de futures décisions autour de problématiques similaires à celles de l’affaire Coty/Amazon ?

Pour explorer ces pistes, étudions les exigences de transparence applicables aux marketplaces.

Une possible remise en cause du rôle « passif » de l’hébergeur ?

La qualification hébergeur/éditeur ayant fait débat dans l’affaire Coty/ Amazon, revenons brièvement sur le statut de fournisseur d’hébergement qui est encadré en France par la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la Confiance dans l’économie numérique (« LCEN »).

L’hébergeur est défini comme toute personne assurant la « mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournie par des destinataires de ces services4 ». Il bénéficie par principe d’un régime de responsabilité allégée sur les contenus qu’il se contente d’héberger. Sa responsabilité ne peut être recherchée que s’il a effectivement connaissance d’un contenu illicite (tel que par exemple, un acte de contrefaçon, de concurrence déloyale, des propos injurieux ou diffamatoires, etc.) et qu’il n’agit pas « promptement » pour le retirer ou rendre son accès impossible.

La connaissance du contenu est présumée après réception d’une notification réalisée selon un formalisme précis défini dans la LCEN. En matière de contrefaçon de marque, les juges européens considèrent qu’une plateforme en ligne bénéficie du statut d’hébergeur à condition de ne pas jouer « un rôle actif » lui permettant d’avoir connaissance des données stockées (CJUE, 23 Mars 2010, aff. C-236/08 à C-238/08, Sté Google c/ Sté Louis Vuitton Malletier).

Dans cette hypothèse, le fournisseur d’hébergement bénéficie du régime de responsabilité allégée attaché à son statut. Le règlement permettrait-il de mieux comprendre ce que font et ne font pas les plateformes sur les contenus qu’elles hébergent ? En s’appuyant sur les nouvelles dispositions du règlement P2B, et notamment sur les règles de transparence, les titulaires de droits pourraient-ils arguer utilement d’un rôle actif de la plateforme ?

Une protection des titulaires de droits, utilisateurs de plateformes

Le règlement P2B ambitionne d’encadrer les relations entre fournisseurs de services en ligne et les entreprises  utilisatrices de ces services en y injectant des règles de transparence et ainsi accroître la confiance au sein de l’économie des plateformes. Le règlement encadre désormais des relations entre professionnels dans un domaine où, jusqu’alors, régnait la volonté des parties.

Le texte vise deux types de fournisseurs : les fournisseurs de moteur de recherche et les fournisseurs de services d’intermédiation en ligne proposant des biens ou services à des consommateurs européens. Concentrons-nous ici uniquement sur cette deuxième catégorie qui vise les plateformes collaboratives ainsi que les plateformes de mise en relation telles que les marketplaces, parmi lesquelles figurent  notamment Amazon. A noter toutefois qu’une entreprise utilisatrice qui aurait recours à une plateforme pour vendre des produits ou services à un client professionnel ne serait pas couverte par le règlement P2B.

La notion d’« entreprise utilisatrice », telle que définie par l’article 2 du règlement, est large puisqu’elle couvre les personnes morales et les particuliers agissant dans le cadre d’une activité commerciale ou professionnelle (typiquement, les auto-entrepreneurs) offrant des biens et services à des consommateurs.

Dans l’affaire en cause, Coty est une entreprise utilisatrice puisqu’elle a recours aux services d’intermédiation d’Amazon pour commercialiser ses produits auprès de consommateurs. Ainsi, un titulaire de droits dans une situation similaire pourrait bénéficier des dispositions du règlement.

Transparence sur le fonctionnement de la plateforme et sur la gestion des droits de propriété intellectuelle

Au regard du fonctionnement des marketplaces, un encadrement apparaît nécessaire dans la mesure où les rapports entre les parties sont souvent déséquilibrés. En effet, certaines plateformes sont devenues si incontournables qu’elles peuvent imposer des conditions contractuelles défavorables aux entreprises utilisatrices, qui sont placées dans une situation de quasi-dépendance vis-à-vis des plateformes. Les entreprises utilisatrices se retrouvent alors soumises aux aléas d’un contrat d’adhésion imposé par la marketplace,  dont le contenu, opaque et évolutif selon le bon vouloir de celle-ci, est généralement peu regardant des intérêts des entreprises utilisatrices.

Dans cet objectif, le règlement européen Platform to Business tente de garantir aux entreprises utilisatrices plus de  transparence, d’équité et instaure un dispositif de recours plus efficace dans leurs relations avec les plateformes. Ces changements seront reflétés dans les conditions générales d’utilisation (« CGU ») des plateformes.

Toute plateforme d’intermédiation doit désormais mieux informer les entreprises utilisatrices5, notamment via ses CGU qui doivent être « rédigées de manière claire et compréhensible » et « facilement accessibles ». Les CGU doivent en outre définir les « motifs des décisions de suspension, de résiliation ou d’imposition de toute autre restriction de la fourniture des services ». Compte-tenu des enjeux de la propriété et des contrôles de droits de propriété intellectuelle lors de l’utilisation par exemple des logos, marques déposées ou noms commerciaux, l’éditeur de la plateforme doit prendre également soin de faire figurer des informations plus ou moins détaillées sur « les effets des conditions générales sur la propriété et le contrôle des droits de propriété intellectuelle des entreprises utilisatrices ».

En outre, les modifications apportées aux CGU de la plateforme doivent être notifiées aux entreprises utilisatrices concernées, sur support durable. Ces changements prennent effet à l’issue d’un délai de préavis raisonnable, ne pouvant être inférieur à 15 jours (sauf exceptions). Pendant ce délai, l’entreprise utilisatrice est en droit de résilier les CGU6.

Les dispositions des CGU qui ne respecteraient pas ces principes seraient déclarées nulles et non avenues7.

Par ailleurs, les CGU de la plateforme doivent décrire clairement les « principaux paramètres » de classement des produits et services proposés sur les plateformes, ainsi que les raisons justifiant ce choix8. Elles doivent expliquer si les paramètres permettent à la plateforme d’influencer le classement lorsqu’une entreprise utilisatrice rémunère la plateforme9. Enfin, les CGU doivent permettre à l’entreprise utilisatrice de comprendre « la pertinence [des] caractéristiques pour ces consommateurs ».

Ainsi, une plateforme qui permet à une entreprise d’acheter des mots-clés (par exemple, des marques de parfum) pour remonter dans les classements serait probablement tenue d’informer de cette pratique dans ses CGU. La plateforme qui répond à l’obligation de transparence n’est cependant pas tenue de divulguer les algorithmes qu’elle utilise10.

Le système interne des traitements des plaintes de la plateforme, une opportunité de dialogue

La plateforme est tenue de mettre en place un processus interne de traitement des plaintes permettant alors à l’entreprise utilisatrice de déposer plainte contre elle, notamment en cas de manquement présumé de celle-ci ou encore pour contester une mesure prise à l’encontre de l’entreprise utilisatrice11. C’est là l’une des dispositions phares du règlement. Le système de traitement des plaintes doit être facile d’accès, gratuit et garantir un traitement des dossiers dans un délai raisonnable.

Avec ce dispositif amiable, une entreprise utilisatrice qui verrait son compte suspendu pourrait déposer plainte et bénéficier d’une sorte de sursis avant la mise en oeuvre d’une mesure restrictive d’utilisation ou avant la résiliation du contrat à l’initiative de la plateforme pour non-respect des CGU. Cette étape intermédiaire est importante  car ce type de sanction peut affecter durablement la commercialisation des produits ou services d’une entreprise utilisatrice.

Cependant, le système interne de traitement des plaintes ne semble pas permettre à une entreprise utilisatrice de  énoncer les manquements commis par une autre entreprise utilisatrice. En effet, le recours à ce système est limité à  trois cas, cantonnés aux relations entre la plateforme et l’entreprise utilisatrice. Dès lors, une entreprise utilisatrice ne peut pas se plaindre auprès de la plateforme d’un manquement aux CGU (par exemple en cas d’atteinte aux droits de  propriété intellectuelle) qui aurait été commis par une autre entreprise utilisatrice.

Dans l’affaire contre Amazon, Coty cherchait à établir le rôle actif de la plateforme dans la distribution de produits  contrefaisants par un distributeur tiers. A première vue, une entreprise utilisatrice ne pourrait pas recourir au système interne de traitement des plaintes du règlement pour dénoncer le comportement similaire d’un distributeur. Elle ne pourrait pas non plus obtenir de la plateforme la sanction directe dudit distributeur.

Deux pistes d’utilisation du système interne de traitement des plaintes en cas de contrefaçon

En matière de protection des marques, il apparaît que ce système pourrait être utilisé de deux façons par le titulaire des droits sur une marque qui serait également entreprise utilisatrice de la plateforme (comme c’était le cas dans l’affaire Coty/Amazon).

La première, sur le comportement actif de la plateforme dans l’utilisation de la marque. Le titulaire des droits aurait deux nouvelles sources d’information :

  • celle relative au classement des annonces (et donc en lien avec l’usage sous-jacents des mots-clés, qui peuvent être protégés par le droit des marques) ;
  • celle relative aux caractéristiques de la plateforme pour le consommateur.

Cela pourrait permettre au titulaire des droits sur la marque d’établir un éventuel acte de contrefaçon de la plateforme sur  les produits en cause.

La seconde, sur le rôle actif de la plateforme pouvant remettre en cause la qualification d’hébergeur. Pour être conforme au principe de transparence, les CGU doivent détailler les conditions de classement des annonces12.

Selon le degré de détail que la plateforme fournira, il pourrait être plus aisé d’établir que la plateforme sort du rôle de simple acteur passif pour s’orienter vers un rôle actif. Dès lors, l’entreprise utilisatrice pourrait tenter d’obtenir une requalification du statut de la plateforme qui, de ce fait, perdrait le bénéfice du régime de responsabilité allégée du  fournisseur d’hébergement.

Au regard de ces nouveaux principes, le règlement P2B pourrait être une opportunité pour les titulaires des droits qui cherchent à contrôler leur réseau de distribution et à lutter contre la vente en ligne de produits contrefaisants.

Il conviendra de s’attacher dans les semaines et mois à venir à la façon dont les plateformes prendront en compte ces évolutions réglementaires dans leurs CGU et dans la mise en place effective du règlement.

Pour l’heure, la France n’ayant pas encore déterminé les mesures et sanctions applicables, le respect effectif du règlement pourrait tarder à produire les effets escomptés13.

Notes

  1. CJUE, Affaire C-567/18 du 2 avril 2020  Coty Germany GmbH contre Amazon Services Europe SàRL, Amazon FC Graben GmbH, Amazon Euorpe Core Sàrl, Amazon EU Sàrl.
  2. Conclusions de l’avocat général, présentées le 28 novembre 2019, affaire. C-567/18 point (56).
  3. CJUE, affaire. C-567/18 point (51).
  4. LCEN, art. 6-1-2.
  5. Art. 3 Règlement P2B
  6. Art. 3§2 Règlement P2B
  7. Art. 3§3 Règlement P2B
  8. Art. 5§1 et 5§2 Règlement P2B
  9. Art. 5§3 Règlement P2B
  10. Art. 5§6 Règlement P2B
  11. Art. 11 Règlement P2B
  12. Art. 5 Règlement P2B
  13. Art. 15 Règlement P2B
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