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Rachats de BSPCE et clauses de « bad leaver » : avec l’arrêt du 18 octobre 2024, l’espoir renaît !

19 février 2025 5 min de lecture

L’alignement des intérêts entre le management et les investisseurs est la base du succès du « private equity ». Pour assurer cet alignement, la technique la plus classique est la clause de « good / bad leaver », permettant le rachat des actions à un prix plus ou moins élevé.

Ces dernières années ont vu, sous l’influence de fonds anglo-saxons et d’une conjoncture plus dure pour les levées, l’apparition de clauses de « very bad leaver » quasi confiscatoires pour les managers lorsqu’elles sont combinées avec des mécanismes de « full ratchet ». Ces clauses critiquables sont, comme nous l’avions souligné dans ces colonnes le 30 avril dernier, scrutées à la loupe, dans un contexte économique plus dur et devenu juridiquement incertain depuis les arrêts du Conseil d’État du 13 juillet 2021 faisant peser la menace de la requalification en salaire sur nombre de management packages.

Dans ce contexte plutôt morose, une lueur d’espoir surgit avec l’arrêt en date du 18 octobre 2024 n°22/09370 (« l’Arrêt ») de la Cour d’Appel de Paris (« la Cour ») sur le sujet très fréquent en pratique des bad leavers détenant des BSPCE.

L’examen attentif de l’Arrêt montre une décision équilibrée dont on peut saluer le bon sens, rappelant à chaque partie ses responsabilités, l’acceptation du risque entrepreneurial et le respect de ses engagements.

Une situation très fréquente en pratique : le rachat des BSPCE d’un « bad leaver »

La Cour rappelle les faits : la SAS Skello, start-up créée en 2016, avait engagé M. E en tant que consultant, puis comme directeur général en 2017. M. E avait alors reçu des BSPCE lui permettant d’acquérir 150 000 actions. En 2018, de nouveaux investisseurs arrivent au capital et signent un pacte d’actionnaires le 31 juillet (« le Pacte »). Ce Pacte incluait une clause de bad leaver à l’article 8, permettant aux investisseurs d’acheter les actions des managers en cas de départ volontaire ou involontaire, selon des modalités spécifiques de calcul du prix.

M. E fut révoqué par l’AG en novembre 2019. En février 2020, il exerça ses droits sur les BSPCE en réglant 300 000 €. En mars 2020, la société Skello racheta ses 150 000 actions pour ce même montant, conformément au Pacte.

M. E contesta la validité de la clause de rachat, arguant d’un vice du consentement et d’un défaut de contrepartie, et sollicita divers dédommagements au motif qu’il n’aurait pas été correctement informé. M. E affirmait également ne pas avoir négocié le Pacte et n’avoir pas pu participer à la discussion des clauses.

En première instance, le tribunal a validé la clause et débouté M. E de l’essentiel de ses demandes, à l’exception d’une indemnité contractuelle de non-concurrence.

La Cour confirme ce jugement et rend une décision bien argumentée qui renforce la sécurité juridique.

Rejet du caractère ambigu de la clause

M. E soutenait qu’il avait adhéré au Pacte par erreur, se méprenant sur la portée des engagements prévus. Il affirmait que cette clause, sous des apparences de « clause de good et bad leaver », le contraignait à céder ses actions à un prix manifestement désavantageux, même en cas de départ légitime, sans possibilité de conserver ses actions ou de les vendre à leur valeur de marché. Il ajoutait ne pas avoir participé aux négociations finales du Pacte et, par conséquent, n’avoir pu influencer les termes de la clause.

La Cour a rejeté cet argument, considérant que la clause était dénuée d’ambiguïté. Les modalités de calcul du prix de rachat étaient spécifiquement encadrées par deux tableaux annexés au Pacte, déterminant la qualification des actions (vestées ou non vestées) et la décote applicable selon la date et le motif du départ. De plus, il ressortait des pièces que M. E avait participé aux négociations et qu’il avait eu connaissance des versions successives du Pacte avant sa signature.

L’impact du prix plancher

M. E contestait également la validité de la clause en invoquant l’article 1169 du Code civil, qui dispose qu’un contrat à titre onéreux est nul lorsque la contrepartie convenue est illusoire ou dérisoire. Selon lui, la promesse unilatérale de vente était dépourvue de contrepartie, car le prix de cession des actions, en cas de départ, était si faible qu’il le privait de tout avantage économique réel. Il estimait que la garantie d’un prix plancher égal au coût d’acquisition des actions (soit 300 000 €) ne suffisait pas à constituer une contrepartie réelle.

La Cour a répondu à cet argument en deux temps, tout d’abord, elle a jugé que la promesse unilatérale prévue relevait d’un engagement contractuel à titre gratuit, et non à titre onéreux, rendant les dispositions de l’article 1169 non applicables.

Ensuite, la Cour a considéré que le mécanisme de calcul du prix de cession, bien qu’inhérent à une logique de décote pour les managers sortants précoces, n’était ni illusoire ni dérisoire. Elle a relevé que le Pacte garantissait un prix plancher à M. E, correspondant au montant qu’il avait investi pour exercer ses BSPCE, et que les modalités prévoyaient une valorisation progressive des actions en fonction de la durée de leur détention.

Les circonstances de la révocation

La révocation de M. E a été jugée régulière, écartant le caractère abusif et vexatoire dénoncé par ce dernier. La Cour note qu’il avait été informé de la tenue de l’AG et qu’il avait pu présenter ses observations. Les échanges cordiaux entre M. E et les dirigeantes de Skello, ainsi qu’un courriel adressé au personnel évoquant un départ planifié, ont contribué à écarter toute notion d’abus.

Quelles sont les conséquences à tirer de l’Arrêt ?

L’Arrêt met en lumière l’importance d’une rédaction claire, « intelligible et dénuée d’ambiguïté » des clauses de bad leaver.

En validant la clause, la Cour souligne que sa rédaction précise et ses modalités de calcul de prix plancher ont permis d’éviter toute confusion lors de son application. Le recours aux BSPCE et l’interprétation de la Cour viennent confirmer l’analyse développée dans ces colonnes le 30 avril 2024, soulignant la limitation du risque de requalification en salaire des outils d’intéressement tels que les BSPCE ou les AGA, définis par un cadre législatif qui régit leur régime fiscal et social.

En faveur de M. E, la Cour retient un élément majeur : l’absence de souscription d’une assurance perte d’emploi par la société, ceci en contradiction avec l’article 13 du Pacte qui prévoyait cet engagement de la société dans les trois (3) mois suivant la signature du Pacte. Ce manquement conduit la société à supporter la charge financière du préjudice causé. Toutefois, en raison de la responsabilité partagée de M. E en tant que dirigeant, la Cour a réduit l’indemnisation à 50 % de la somme estimée, soit 24 500 €.

La participation active des parties à la négociation du Pacte et à sa rédaction écarte la qualification d’acte d’adhésion défini par l’article 1110 du Code civil comme « celui qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l’avance par l’une des parties ».

L’Arrêt rassure donc par son rappel des fondamentaux du droit des obligations et par la reconnaissance du caractère équilibré et transparent des clauses litigieuses. Il invite à faire preuve de vigilance dans la rédaction et la mise en œuvre des pactes pour assurer une protection équitable des parties et il ouvre la voie à une structuration équilibrée des mécanismes de décote. Même en cas de départ involontaire, le manager a pu bénéficier d’un prix minimum garanti correspondant à son investissement. Cela montre que les clauses de bad leaver ne doivent pas être perçues uniquement comme des sanctions, mais aussi comme des mécanismes de protection équitables pour les deux parties. De plus, les fonds et la société doivent respecter leurs promesses, en l’occurrence en matière d’assurance perte d’emploi, et une indemnisation a été reconnue au Directeur Général à cet égard.

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